i love the smell of the rain (nika)

i love the smell of the rain


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La pluie s'abattait en rafales depuis des heures devant les yeux fatigués d'Ana. La place Sennaya ne désemplissait pas pour autant, les éléments n'ayant jamais chassé les curieux venus tenter les bonnes affaires du marché. De là où elle observait, les gens semblaient trempés, imbibés d'eau. Le vent n'arrangeait rien à la situation, plaquant des feuilles mortes sur les visages rougis par le vent et la pluie.  Ana s’était levée tôt dans l’espoir de pouvoir descendre, elle aussi, explorer les petits stands habituellement colorés et riches de bonnes affaires, qu’elles soient alimentaires ou matérielles. La pluie l’avait découragée. Elle aimait la pluie, pourtant. Il n’était pas rare qu’elle ouvre grand les battants de la vieille fenêtre grinçante lorsque la pluie s’annonçait à l’horizon, pour en entendre le doux roulement sur les toits avoisinants, pour en sentir l’odeur. Elle aimait la poésie des pluies violentes, la théâtralité des orages qui s’annoncent, l’obscurité d’un ciel en pleine journée chaotique. Mais ce jour-là, elle avait besoin de sortir, sinon elle ne pourrait bientôt plus se nourrir. Et même si Ana ne doutait pas de sa capacité à sauter quelques repas, le jeûne forcé n’était pas un luxe qu’elle pouvait se permettre. Pas en exerçant son métier. La danse tirait sur ses muscles, sollicitait ses jambes, ses bras, son port de tête, ses épaules frêles. Il fallait qu’elle mange pour continuer à être performante – une subtilité qui pouvait échapper à certains, parfois.

Elle finit par prendre son courage à deux mains après avoir terminé, dans une casserole vieillot, sa réserve de riz, pour un déjeuner frugal. Elle enfila un manteau et s’empara d’un parapluie qu’elle avait récupéré dans les objets trouvés du Mariinsky – un grand parapluie noir au manche en ivoire qu’elle n’aurait jamais pu avoir en sa possession si quelqu’un ne l’avait pas perdu. Un don du ciel, un clin d’œil de l’ironie du sort. Elle déplia l’objet une fois sur le palier de l’immeuble et se dirigea rapidement vers le centre de la place où trônait le marché. L’air était lourd malgré la pluie épaisse, et le vent jouait dans la toile du grand parapluie qui, par la force des choses, tendait à devenir trop lourd pour elle. Elle chancela un peu, l’avancée jusqu’à son but n’en n’était rendue que plus difficile, ce d’autant que tous ses muscles étaient encore douloureux de la représentation donnée la veille. Au bout de quelques mètres, le parapluie lui échappa des mains pour aller s’envoler de quelques mètres et atterrir violemment sur le trottoir. A quelques centimètres seulement d’une personne malheureuse qui échappe de justesse à l’agression de l’objet. Anastasia plaqua ses mains contre sa bouche. Mon dieu, je suis confuse, excusez-moi, s’empressa-t-elle de murmurer, gênée, le teint rouge pivoine – avec un peu de chance, personne ne s’en rendrait compte en raison du froid, de la pluie et du vent – en se précipitant pour ramasser le parapluie. Il est trop lourd, il m’a échappée des mains avec le vent. Vous n’avez rien ? demanda-t-elle enfin, restant à bonne distance de l’inconnu – l’objet incriminé entre les mains, plié, rangé pour éviter d’autres catastrophes. Et tant pis pour la pluie qui ruisselait désormais dans ses cheveux roux, sur ses joues et jusqu’à la naissance de sa robe. Tant pis pour le froid.

il pleut quelque part ;; l'averse ça lui dévore la joue comme une rangée d'incisives affamées qu'ont pas le courage d'attendre midi pour se rassasier. ça s'abat sur lui comme un torrent, comme le reste d'un navire déjà échoué qui termine son histoire au fin fond de la flotte - il a l'inspiration profonde, nika, trempé comme un clébard abandonné sur le bord de la chaussée. il a les mains flanquée dans ses poches, poings serrés et encore douloureux, y'a des cernes de plusieurs mètres qui se posent délicatement sous ses yeux et un bleu de la taille d'une paume à côté de l'oeil droit. c'est pas qu'il a perdu, c'est qu'à trop vouloir détrôner les royautés des bas-fonds, y'a de quoi se prendre quelques retours de chaussures crasses et de doigts terreux. langue mordue quelque peu, l'esprit ailleurs et l'envie répétitive d'aller s'enfoncer dans un bar pour s'enterrer dans une partie de poker interminable, il prend à peine compte l'objet qui lui tombe presque sur le nez. il papillonne des cils, s'arrête, frémit sous le froid qui s'engouffre sous ses vêtements - faudrait penser à changer, qu'il se dit, faudrait penser à se faire un belle garde-robe qu'il se dit. froncement de sourcils, il s'est même pas donné la peine d'enfiler quelconque béret pour se donner un genre plus présentable - fatigue de rien et de tout, il a pas assez dormi pour s'attarder sur les détails et les commodités.

y'a juste une voix qui vient s'enfouir entre les gouttes épaisses, qui fait décalage avec le ciel en plein enterrement - il penche sa tête sur le côté, croise ses bras sur son torse, affiche un sourire en coin de lèvres. tignasse rousse à en faire pâlir d'envie un feu de bois, pas bien grande, pas bien large non plus - brindille qui craque sous la pression d'un regard.
- pas d'problème. j'suis entier. pas la peine d'vous inquiéter plus qu'ça. c'est que nika, il mâche trop ses mots, c'est que nika il a plus la prétention de savoir bien parler comme font les plus grands à la cour ni de se tenir assez droit pour donner l'impression d'une raideur, à la manière de la justice bâtie sur des fondations branlantes.
- vous en r'vanche...
s'attarder sur la formation des joues, les couleurs éparses sans en faire une toile hyper réaliste, s'attarder quelques secondes seulement.

- faut être sacrément déterminée pour affronter l'temps.
- on dirait que l'vent va vous emporter.

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La course effrénée de son coeur contre sa cage thoracique se calme quelque peu lorsque l'étranger la rassura sur son état - et sur le fait que le parapluie ne l'avait, fort heureusement, pas touché. Il était grand, aux cheveux et aux yeux sombres, la surplombait de plusieurs centimètres. Elle détestait l'idée qu'il faille potentiellement réparer une erreur si idiote qu'un parapluie lâché dans le vent. Elle qui n'était qu'une fille du coin, commençant à peine à gagner sa vie, ne pouvait que s'estimer heureuse de ne pas être tombée sur un procédurier ou une procédurière qui aurait pu se mettre à lui hurler dessus en plein milieu de la rue fréquentée pour lui reprocher son inconscience et une incivilité qu'on lui aurait prêtée pour l'occasion. Et puis, en dehors de la gêne potentielle qu'aurait occasionnée une altercation de ce genre, elle n'entretenait pas du tout le désir de faire mal à qui que ce soit avec le parapluie insolent. Elle offrit à son interlocuteur un soupir soulagé - et l'ébauche d'un sourire. Ils étaient toujours un peu douloureux, toujours un peu difficiles à sortir, les sourires, pour Ana. D'où venait cette nostalgie étrange, cette impression persistante de malheur qui lui collait à la peau depuis toujours ? L'histoire familiale n'avait pas aidé, pour sûr. Mais aujourd'hui ? Elle était une étoile du Ballet Impérial, un honneur suffisamment grand pour la combler - en théorie - de bonheur. Elle en était consciente, son esprit le lui répétait sans cesse.

Mais la prudence gouvernait sa vie, tout le temps, dans tous les domaines. Il ne fallait pas laisser venir le bonheur trop tôt, car s'il s'installait, il serait encore plus difficile d'y renoncer qu'en ayant l'impression de ne l'avoir jamais ressenti. Un raisonnement théorique, carré, classique, affligeant. Vous m'en voyez ravie, elle répondit dans un élan de soulagement qu'elle parvenait difficilement à comprendre. Ravie n'était peut-être pas le mot le mieux choisi - soulagée aurait convenu davantage. Peu importait son sens exacerbé du détail. Moi ? demanda-t-elle, presque surprise que qui que ce soit ne vienne s'interroger sur sa personne, à elle. Dans la rue. Sous la pluie. Oh non, non... Tout va très bien. Merci. Elle se mordit la lèvre inférieure un instant - la plupart de ses rapports sociaux avec des inconnus se soldaient de la même façon - elle finissait par dire des choses sans le moindre intérêt, se sentait gênée, son esprit vagabondant de banalités en banalités pour combler les éventuels blancs - bref. Elle n'était bonne à s'exprimer que sur le plancher du théâtre, pointes aux pieds. En dansant. Je viens de descendre, j'avais besoin de faire quelques achats, mais le vent souffle trop fort pour que le parapluie ne tienne en place, d'où l'agression que vous venez de subir. Excusez-moi. Elle esquissa à nouveau un sourire gêné, coinçant le parapluie entre ses mains quelque peu tremblantes. Vous êtes trempé, nota-t-elle ensuite, sans même se rendre compte qu'elle aussi commençait à l'être - l'eau qui tombait averse finissait même par se frayer un chemin sous ses vêtements.