joyeuses retrouvailles (ira)

« Madame, tout est prêt. » Julia gloussa de plaisir. Elle réajusta le fin collier qui ornait son cou et quitta ses appartements pour rejoindre le salon d’été, qui donnait sur une adorable véranda baignée de soleil. Les températures n’étaient pas encore au beau fixe mais la luminosité et les plantes en fleur donnaient l’illusion d’une belle journée d’été, ce qui convenait parfaitement à l’humeur de la jeune femme. Non seulement sa vie semblait prendre un tournant particulièrement favorable à ses projets mais en plus, sa meilleure amie d’enfance était enfin de retour après un énième voyage autour du monde. De quoi se sentir parfaitement joyeuse en ce bel après-midi.

Julia s’assit sur l’un des fauteuils du salon où tout avait été préparé avec soin. Les Simonov savaient accueillir, tout le monde le savait, et madame la mère de Julia ne se privait pas de le faire savoir à tous ceux qui l’auraient oublié. Impatiente et fébrile à l’idée de revoir sa tendre amie, Julia n’arrivait pas à tenir en place et sa mère n’aurait pas manqué de la réprimander pour ce comportement. Mais en ce jour, Julia était seule dans le palais Simonov et avait trouvé l’occasion parfaite pour convier Ira à un goûter de retrouvailles. Elles avaient beaucoup à se dire et, au-delà des récits de voyage que lui ferait son amie, c’était surtout son mariage à venir qui l’intriguait au plus haut point. D’autant plus que Julia elle-même pourrait avoir une bonne nouvelle à annoncer…  

« Madame ? Mademoiselle Irina Amalieva est arrivée. » Julia soupira de soulagement. Elle n’en pouvait plus d’attendre ! « Eh bien, faites-là entrer, Maria. » La jeune femme se releva, veilla à ce que sa robe ne se soit pas coincée entre le tapis ou le pied du fauteuil, et accueillit sa plus vieille amie à bras ouverts. « Chère Ira ! Quel plaisir de te revoir. » Julia lui offrit un baiser en s’emparant de ses mains et l’emmena avec elle dans les fauteuils où elles seraient à même de bavarder tout en grignotant les pâtisseries préparées par la cuisinière du palais. « Alors, quand es-tu rentrée ? Et d’où reviens-tu ? J’ai entendu dire que…oh, excuse-moi, je t’assaille de questions ! » Julia elle-même fit une pause pour reprendre son souffle et aussi ses esprits. « Quelles sont donc les merveilles que tu rapportes à notre bien-aimé Tsar ? »

L'invitation était arrivée un peu plus tôt dans l'après-midi, par voie postale. Un simple billet, qui avait transité par les mains d'un coursier de la Maison Simonov ; avant même d'ouvrir la délicate enveloppe, Ira avait pu deviner sa provenance - le cachet de cire rouge emprunt des armoiries de la noble lignée ne pouvait tromper. Après tout, elle connaissait ce symbole depuis, pour ainsi dire, toujours. Son amitié avec Julia Simonova durait depuis l'enfance, les deux familles ayant toujours été proches : lors des réceptions, on s'amusait de voir les deux enfants, à la blondeur candide, bondir ensemble de pièce en pièce. Ira menait souvent les excursions casse-cous, tandis que Julia avait le don de s'attirer les faveurs des garçons. Bref, elles s'entendaient à merveille, et rien ne semblait pouvoir les séparer.

La vie a pourtant joué ce tour aux deux jeunes femmes, dont les visites se sont espacées au fil des ans ; et c'est pourquoi c'est avec une moue surprise qu'elle accueille cette invitation. A Feodora, toujours à ses côtés, elle lance un regard perplexe. « Je suis conviée chez les Simonov, cet après-midi, » comme si sa toute récente demoiselle de compagnie était familière avec ce nom. Cela ne l'empêche cependant pas de poursuivre. « Je me demande ce qu'elle veut me raconter. Une noce à venir, certainement, ou quelque romance... » finit-elle par lâcher avec flegme, haussant les épaules, et retournant à ses activités jusqu'à l'heure dite.

Il est seize heures passées de quelques minutes, quand Ira arrive devant le Palais, dispensant Feodora de sa compagnie. Elle est accueillie par une domestique qu'elle ne reconnaît pas, l'emmenant immédiatement dans le petit salon, où Julia l'embrasse avec joie et l'entraîne à sa suite vers les fauteuils. Son visage semble n'avoir pas changé, sinon quelque peu affiné par les années : égale à elle-même, elle rayonne. Son enthousiasme ne peut qu'inviter à faire de même, et c'est d'un ton enlevé qu'Ira réplique. « Oh Julia, que cela fait longtemps, et que tu es belle ! » elle affirme, lui rendant son accolade. Très vite, les deux vieilles amies s'installent, picorent quelques pâtisseries et sirotent leur thé. « Je suis rentrée il y a quelques mois, déjà. Mon dernier voyage était tout au nord, sur le continent austral. C'était splendide ! » Les interrogations de Julia quant aux trésors qu'elle y aurait trouvé lui arrachent un rire clair et franc, dénué de quelque moquerie. « C'est un endroit exceptionnel, Julia, ou nul homme - ou femme - n'a jamais posé pieds. Je crains cependant que l'on n'y trouve bien peu de cadeaux pour notre Tsar. » Elle ajoute, saisissant sa tasse avec un air songeur. Le récit de ses voyages a un effet doux-amer : le souvenir vivace, et l'envie de repartir, quand elle est coincée à la capitale jusqu'à nouvel ordre. Bien vite, Ira décide de chasser ces pensées, et reporte toute son attention sur son amie. « Et toi, dis-moi tout ! Que s'est-il passé dans la vie de Julia Sergueïevna Simonova ? »